Présidentielle américaine : Les Arabes et les Musulmans, faiseurs de rois ?
- « Je pense qu’aucune personne, qu'elle soit palestinienne ou arabe, ou qu'elle se soucie de la question palestinienne, ne votera pour Kamala en bonne conscience », a déclaré Hatem Abuddayeh, président national du (USPCN)
United States
AA / Chicago / Ayse Betul Akçesme
Les Américains s'apprêtent à élire leur nouveau président le 5 novembre 2024, dans un climat où les questions de politique étrangère s'imposent comme des enjeux majeurs du scrutin.
À moins d'une semaine du jour "J" de la course à la Maison Blanche, opposant la candidate démocrate Kamala Harris au candidat républicain Donald Trump, les sondages révèlent un écart de plus en plus étroit entre les deux rivaux.
Ce sont désormais les « swing states » qui détermineront l'issue de l'élection – ces États Pivots où le résultat est incertain et où chaque voix peut faire basculer le résultat.
Dans ce contexte, le vote des musulman prend une importance croissante, en particulier dans le Michigan, où il pourrait jouer un rôle décisif.
Pour rappel, lors de l'élection présidentielle de 2020, Joe Biden avait remporté la victoire dans le Michigan avec une avance d'environ 150 000 voix.
Avec un électorat musulman estimé à 200 000 dans cet État, cette communauté pourrait donc influencer le résultat de manière significative.
- “En matière de politique étrangère, il n'y a aucune différence entre les Républicains et les Démocrates”
🇺🇸Élection présidentielle américaine : 🗳️Le vote musulman, faiseur de roi ?
— Anadolu Français (@aa_french) October 31, 2024
🗣️ « je pense qu’aucune personne, qu'elle soit palestinienne ou arabe, ou qu'elle se soucie de la question palestinienne, ne votera pour Kamala en bonne conscience »
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Pour évaluer davantage l'influence des musulmans dans les élections américaines, Anadolu a donné la parole à Hatem Abuddayeh, président national de l’USPCN (Réseau de la communauté palestinienne des États-Unis) et porte-parole de la Coalition pour la justice en Palestine de Chicago, une initiative locale créée dans les années 2000 qui regroupe les principales organisations palestiniennes de la ville. Depuis le 8 octobre 2023, la coalition a organisé 55 manifestations propalestiniennes.
Hatem Abuddayeh a également été porte-parole de la coalition « March on the Democratic National Convention » qui a rassemblé près de 40 000 manifestants à Chicago lors du congrès démocrate en août dernier.
Notre interlocuteur distingue deux principaux courants au sein de l’électorat arabe américain : d’un côté, ceux qui estiment que le système américain fonctionne globalement et mérite quelques réformes ; de l’autre, ceux qui le considèrent comme fondamentalement défaillant, nécessitant une « transformation totale ».
Il situe l'USPCN dans ce second courant et souligne les liens proches de son organisation avec d’autres mouvements progressistes tels que le mouvement pour les droits des noirs, le mouvement des droits des immigrants et celui des droits reproductifs, partageant une même vision du monde.
« Nous ne voyons pas le Parti démocrate se soucier de nos communautés, car il est clair qu'il ne le fait pas. Sont-ils meilleurs que les Républicains sur les questions locales et nationales ? Oui. Ce serait politiquement immature de ma part de dire qu'il n'y a pas de différence au niveau national », déclare-t-il.
Toutefois, il souligne qu'en matière de politique étrangère, « il n'y a aucune différence entre les Républicains et les Démocrates ».
Abuddayeh explique qu’aux États-Unis, les arabes ont historiquement tendance à voter pour les Démocrates, avec un électorat arabe estimé à environ 3 millions de personnes “selon les organisations nationales arabes et d'autres chercheurs de confiance”.
« Parmi ces arabes, il y a des Républicains, des organisations qui soutiennent les Républicains et des personnes engagées dans le Parti républicain. Cependant, la majorité a voté pour les Démocrates. Mais je ne pense pas que cela se reproduira cette fois-ci ».
« Je pense qu’aucune personne, qu'elle soit palestinienne ou arabe, ou qu'elle se soucie de la question palestinienne, ne votera pour Kamala en bonne conscience », lance-t-il, ajoutant : « Elle (Kamala Harris) et Biden sont responsables de ce génocide. Les États-Unis sont responsables de ce génocide, non seulement pour les armes qu'ils ont envoyées, mais aussi pour la relation existentielle entre ces deux pays basée sur le rôle central joué par Israël dans la protection des intérêts impérialistes des États-Unis dans le monde arabe et au Moyen-Orient ».
Il souligne que ce ne sont pas seulement les arabes et les Palestiniens qui expriment leur intention de ne pas voter pour Kamala Harris.
« Il y a beaucoup de noirs dans ce pays qui disent la même chose. Il y a aussi de nombreux latinos et d'autres immigrants qui partagent ce sentiment, car les Démocrates ont systématiquement pris pour acquis les arabes, les Palestiniens, les musulmans, les noirs, les latinos et d'autres immigrants ».
Il ajoute que si les Démocrates et Kamala Harris perdent, ils ne pourront pas fuir leurs responsabilités.
« Les seuls responsables sont Joe Biden, Kamala Harris, Antony Blinken, Schumer, Schakowsky, Durbin, Pelosi et tous les hauts dirigeants démocrates. Ce sont les seules personnes responsables, car leur politique concernant Israël, un soutien inconditionnel sans critique, sans remise en question de la politique israélienne de génocide et un soutien continu en argent et en armes, est ce qui cause le génocide. Ils auraient pu l'arrêter dès le premier jour. Ils ne l'ont pas fait. Et ce sont les seuls responsables s'ils perdent. Honnêtement, d'après tous les sondages et les analyses, il semble qu'ils vont perdre ».
Enfin, il revient sur l’importance du vote de l’électorat musulman dans les Etats pivots.
“Vous savez, la décision n’est pas si difficile dans l’Illinois parce que vous avez beau dire: non je ne voterais pas pour Kamala, mais ça n’a vraiment pas de sens, elle va gagner dans l’Illinois. Ce sont les arabes du Michigan, de Pennsylvanie, d’Ohio, de Wisconsin et du Minnesota, c’est à dire les endroits où la course est très serrée, c’est là que la décision est cruciale. Et c’est pourquoi les démocrates sont en grande difficulté parce que les arabes de ces régions ne vont pas voter pour Kamala”, a-t-il conclu.
- “Nous devons faire entendre nos voix, si cela passe par ce vote de protestation pour un parti tiers, qu'il en soit ainsi”
Maggie Slavin, directrice des opérations du Conseil des relations américano-islamiques de Chicago (CAIR-Chicago), a elle aussi souligné que “le vote musulman va être un énorme facteur” surtout dans les États pivots, à l’exemple du Michigan.
Maggie, explique que cette année, surtout en raison du génocide en cours à Gaza, les musulmans américains sont mobilisés plus que jamais.
“La question de Gaza semble mobiliser les gens à voter contre Kamala Harris et Tim Walz, car nous n'avons pas vu de changement significatif dans le ton de sa campagne”, a-t-elle déclaré.
Elle a également observé que “de plus en plus de gens” se sont tournés vers un candidat de troisième parti. Elle a mentionné que, jusqu'à présent, le Parti vert était considéré comme une organisation plutôt “sleepy” (NDLR : endormie), avec une démographie vieillissante.
“De nombreux musulmans américains et de jeunes musulmans américains ont vraiment infiltré le Parti vert, et cela de manière positive. Ils ont vraiment renforcé la plateforme de Jill Stein et de Rudolph Ware”, a-t-elle ajouté.
Bien que Maggie admette que Jill Stein n'est pas en mesure de gagner les élections, elle insiste : “Nous sommes mobilisés d'une manière que nous n'avons jamais connue auparavant. Et la question centrale ici, c'est Gaza”.
“Nous avons besoin de faire entendre nos voix. Si cela passe par ce vote de protestation pour un parti tiers, qu'il en soit ainsi.”, a-t-elle lancé.
Maggie affirme que cette option de troisième parti est un moyen de protester contre les choix limités que représentent Kamala Harris et Donald Trump.
“D'un côté, Donald Trump, qui a expulsé des musulmans de ce pays et est connu pour avoir intensifié les conflits en Palestine durant sa présidence. Il est très proche de Bibi Netanyahu. De l'autre, nous avons Harris, qui n'a ni changé de ton ni fait preuve de compassion envers les musulmans américains et leur douleur. Elle n'a pas proposé de changements clairs dans sa politique concernant la manière dont elle et son administration traiteraient le génocide ou fourniraient de l'aide humanitaire”, explique-t-elle.
Pour souligner l’importance du vote musulman, Maggie a également évoqué les élections de 2020, durant lesquelles Joe Biden a obtenu 70 % du vote des musulmans américains.
“Ce chiffre est similaire dans le Michigan, un facteur déterminant pour cette élection, car en 2020, les Démocrates ont gagné avec seulement 150 000 voix d'écart. Il est important de noter qu'une part significative de ces 150 000 voix provenait d'électeurs musulmans qui ne prévoient pas de voter pour Kamala Harris”, a-t-elle conclu.
- “Jusqu’à ce que nous voyions un embargo sur les armes, la porte restera fermée”
« Le 5 novembre, nous voulons donner une leçon aux Démocrates », a lancé Jinan Chehade, jeune avocate et activiste d’origine américano-libanaise à Chicago.
« Chaque matin, nous avons vu nos familles se faire massacrer en direct à la télévision. Nous avons assisté au génocide le mieux documenté de l’histoire », a-t-elle ajouté, soulignant que certains membres de la communauté présents à Chicago ont perdu plus de 60 à 70 membres de leurs familles.
Estimant qu’aucun des deux partis ne les représente, elle affirme que la communauté musulmane a perdu sa foi en un système bipartisan.
« Cette année, le Parti démocrate est allé trop loin. Nous avons beaucoup perdu, mais malgré cette dévastation, nous avons trouvé en nous la force de dire ‘non’ et de rejeter cette idée que c’est tout ce que nous avons », a-t-elle poursuivi.
Rappelant que les États-Unis ont accordé 17 milliards de dollars à Israël « pour qu’il poursuive sa campagne génocidaire à Gaza », Jinan Chehade souligne la frustration de la communauté : « Ils ont totalement perdu confiance envers le Parti démocrate et ne croiront plus aux fausses promesses et aux paroles creuses utilisées pour nous pacifier ».
Elle insiste que le génocide en cours à Gaza n’est pas uniquement perpétré par Israël, mais que les États-Unis en sont “un partenaire égal”.
Concernant l’élection présidentielle, l'activiste a affirmé qu’il n’y a aucune différence, pour eux, entre le candidat républicain Donald Trump et la candidate démocrate Kamala Harris : « Que ce soit Trump ou Harris, ils ne recevront pas le vote des musulmans ou des arabes tant qu’ils continueront de soutenir le génocide à Gaza et d’armer ce génocide ».
« Nous sommes la majorité dans les États pivots que ces deux politiciens doivent remporter. Nous avons donc le pouvoir. Nous ne quémanderons pas leur soutien : ce sera à eux de venir vers nous. Et ils n’auront pas notre appui tant qu’ils n’auront pas mis fin non seulement à l’occupation en Palestine, mais aussi à tout commerce d'armes avec Israël », a-t-elle réitéré.
S’adressant aux partis démocrate et républicain, Jinan Chehade a conclu : « Ne venez pas chercher nos voix, car lorsque nous vous avons suppliés de nous écouter, vous nous avez fermé la porte au nez. Jusqu’à ce que nous voyions un embargo sur les armes, jusqu’à ce que nos demandes soient exécutées, la porte restera fermée ».
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