Procès Samuel Paty : les avocats de Sefrioui font tanguer la qualification d’"association de malfaiteurs terroriste"
- Ouadie Elhamamouchi, Vincent Brengarth et Colomba Grossi ont tenté de démontrer tout au long de leurs plaidoiries, que la seule volonté de leur client était de s’élever contre la politique d’Emmanuel Macron en matière de « séparatisme »
France
AA / Paris / Feïza Ben Mohamed
La Cour d’Assises spéciale de Paris a laissé la parole, mercredi, à trois des quatre avocats d’Abdelhakim Sefrioui, pour des plaidoiries qui ont duré presque cinq heures.
Devant une salle quasiment pleine, Colomba Grossi, Ouadie Elhamamouchi et Vincent Brengarth, se sont succédés pour tenter de démontrer en quoi la qualification d’association de malfaiteurs terroriste (AMT), n’était pas adaptée à leur client, dont ils estiment qu’il est principalement mis en cause en raison de son engagement politique et militant pour la Palestine et contre l’islamophobie.
Alors que mardi déjà, la défense de Brahim Chnina avait plaidé en ce sens auprès de la Cour, celle d’Abdelhakim Sefrioui est venue enfoncer le clou, clamant elle aussi l’innocence du prévenu et réclamant sa relaxe.
Dès le début de la matinée, Maître Colomba Grossi a pointé « le lien artificiel qui a été construit » entre son client et le terroriste Abdoullakh Anzorov, alors que les deux hommes ne se connaissent pas et n’ont jamais échangé, pas même de manière virtuelle.
Après elle, Maître Ouadie Elhamamouchi a estimé que « si le nom d’Abdelhakim Sefrioui était retiré de l’équation insoluble » qui est posée, le résultat de cet attentat « serait le même, avec les mêmes conséquences sur Samuel Paty ».
Il assure que lorsque Sefrioui accompagne Brahim Chnina au collège de sa fille pour contester son exclusion, Abdelhakim Sefrioui « veut simplement intervenir sur ce qu’il pense être une discrimination » après que l’élève a prétendu (de manière mensongère) avoir été exclue pour avoir contesté le contenu du cours de Samuel Paty et la présentation de caricatures du Prophète Mohammed.
« Il n’y a pas d’association, chacun est dans son rôle » a clamé l’avocat, selon qui le prévenu « voulait deux choses: la sanction disciplinaire et l’organisation d’une manifestation avec un couscous. C’est ça que l’on reproche à Abdelhakim Sefrioui? Un couscous qui serait un acte de terrorisme? On dit que quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup, et là on essaie de vous faire avaler un loup parce que c’est flou », a-t-il poursuivi, soulignant que jamais la vidéo de son client n’a été visionnée par Abdoullakh Anzorov qu’elle n’a été diffusée que le 12 octobre, soit 4 jours après celle produite par Brahim Chnina.
Et de poursuivre: « Il ne donne jamais le nom de Samuel Paty. Il ne donne aucune indication par rapport à la vie privée de Samuel Paty. Abdelhakim Sefrioui, ce n’est pas son sujet Samuel Paty, ça ne l’intéresse pas. Sa position à lui c’est une critique de la politique d’Emmanuel Macron et de son discours sur le séparatisme. Abdelhakim Sefrioui a une volonté d’informer en faisant sa vidéo diffusée le 12 octobre. Même le ton qu’il utilise est très modéré. On essaie de l’accuser d’avoir émis une fatwa, mais ce n’est absolument pas une fatwa, c’est tout simplement la critique d’une vision politique, et un positionnement politique ».
Dans la même veine, Maître Vincent Brengarth est intervenu pour rappeler à la Cour qu’elle « ne peut pas faire comme si l’islamophobie n’existait pas ».
« Ne faisons pas comme si cette dénonciation du racisme structurel, de l’islamophobie, était uniquement le fruit d’Abdelhakim Sefrioui et qu’elle ne trouve aucun relais, y compris au sein des sphères internationales (…). Abdelhakim Sefrioui vient uniquement vous parler de Macron. Il s’en prend à l’Education Nationale. Si on pense qu’Abdelhakim Sefrioui est animé par une volonté terroriste on n’a rien compris à sa personnalité. Sa seule orientation elle est politique », a-t-il souligné, faisant un parallèle avec le malaise politique créé par l’affaire du foulard de Creil, intervenue en 1989.
L’avocat parisien considère que la demande du PNAT (parquet national antiterroriste), qui a requis une peine de 12 ans de réclusion criminelle contre Abdelhakim Sefrioui « demande de reconnaitre une nouvelle infraction qui serait celle d’un crime de séparatisme non intentionnel ».
« S’il n’y a pas d’infraction caractérisée, il n’y en a pas. Vous devez rendre une décision basée sur le droit et pas sur la moralité de AS et de sa vidéo », a-t-il clamé.
Mais au-delà des arguments opposés par les avocats durant ce procès, c’est bien la chronologie des faits qui pose question et amène à s’interroger sur la pertinence de la qualification d’association de malfaiteurs terroriste retenue par le PNAT.
Au moment où Brahim Chnina publiait ses premiers messages pour dénoncer les évènements le 7 octobre 2020 au soir, puis sa vidéo le 8 octobre, Abdelhakim Sefrioui n’intervient aucunement dans l’élaboration de ces supports. La vidéo de Sefrioui sera pour sa part diffusée le 12 octobre, sans qu’aucun d’eux n’intervienne ni ne soit impliqué dans la production de l’autre.
« Pour revenir sur l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste, il faut, pour qu’elle existe matériellement, qu’il y ait 2 personnes à minima. Comment le 7 octobre, alors qu’il envoie ces messages et diffuse sa vidéo seul, a-t-il pu être en association avec Sefrioui qui n’est toujours pas intervenu dans ce dossier? C’est cela la réalité spatiale et temporelle. Vous ne pouvez pas condamner Brahim Chnina sur la base d’une association de malfaiteurs qui n’existe pas! », avait-il lancé face au Président et à ses assesseurs.
Ces plaidoiries intervenaient au lendemain des réquisitions prononcées par le PNAT à l’encontre des huit prévenus qui comparaissent devant la Cour d’Assises depuis le 4 novembre.
Dans le détail, le parquet a requis 14 et 16 ans de prison dont 2/3 de sureté contre Azim Epsirkhanov et Naim Boudaoud, considérant qu’ils « étaient pleinement conscients » de l’idéologie du terroriste Abdoullakh Anzorov et qu’ils lui « ont fourni les conditions matérielles de les mettre en œuvre ». Tout au long des débats, les deux prévenus, incarcérés depuis 4 ans à l’isolement, n’ont eu de cesse de clamer leur innocence en assurant n’avoir jamais eu connaissance du projet mortifère de leur ami, qui les a utilisés « comme pigeons ».
Pointant une « campagne mensongère destinée à nuire à Samuel Paty » et un prétendu « séparatisme islamiste », le PNAT considère également que le mode d’action utilisé par Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui en publiant des vidéos pour dénoncer le professeur, visait à « pousser, en connaissance de cause, les autres à agir » en participant à la diffusion « massivement virale de messages le désignant ».
Alors même que rien, au cours de l’enquête, n’a permis d’établir qu’Abdoullakh Anzorov a visionné la vidéo d’Abdelhakim Sefrioui, ou que Brahim Chnina était informé d’une volonté de passage à l’acte du terroriste, les avocats généraux ont demandé à la Cour de condamner les deux hommes à des peines respectives de 12 et 10 ans de prison dont 2/3 de sureté, pour des faits qualifiés « d’association de malfaiteurs terroriste ».
Enfin sur le volet qui concerne le supposé soutien idéologique apporté par les quatre derniers prévenus, le PNAT a demandé la condamnation de Louqmane Ingar à 3 ans de prison assortis d’un sursis probatoire de 2 ans pour des faits d’association de malfaiteurs terroriste tandis que pour Ismaïl Gamaev, une peine de 5 ans dont 18 mois avec sursis, a été réclamée afin que les deux prévenus « ne soient pas réincarcérés » car « ils présentent les garanties suffisantes pour prévenir les risques de réitération ».
Les avocats généraux ont enfin requis une condamnation à un an de prison avec une obligation de soins, pour apologie publique du terrorisme à l’encontre de Yusuf Cinar et une peine de 18 mois de prison assortis d’un sursis probatoire de 3 ans à l’encontre de Priscilla Mangel, pour des faits de provocation au terrorisme.
Pour rappel, le procès de l’attentat qui a coûté la vie à Samuel Paty s’est ouvert le 4 novembre à Paris, et durera jusqu’au 20 décembre selon le calendrier prévisionnel transmis par le PNAT (Parquet National Antiterroriste) à Anadolu.
Quatre ans après les faits, la justice doit déterminer les responsabilités des huit accusés, dans l’assassinat, le 16 octobre 2020, de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie au collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, décapité à la sortie des cours par un ressortissant russe, d’origine tchétchène, âgé de 18 ans.
Son bourreau, Abdoullakh Anzorov, abattu dans la foulée par les forces de l’ordre, reprochait à l’enseignant d’avoir montré à ses élèves, des caricatures issues du journal satirique Charlie Hebdo et mettant en scène le prophète Mohammed nu.
L’attentat avait provoqué une onde de choc dans tout le pays, et le nom de Samuel Paty fait, depuis, office de symbole. Six mineurs ont déjà été condamnés par le tribunal pour enfants, au terme d’un procès intervenu fin 2023.
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