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Processus de paix : 34 ans après sa proclamation, l'État palestinien peine à se concrétiser

- Bien que reconnu par plus de 70 % des États membres de l'ONU et ayant le statut d'État observateur non membre, l'État proclamé par Yasser Arafat le 15 novembre 1988 en pleine Intifada ne parvient pas à faire valoir ses droits.

Ekip  | 15.11.2022 - Mıse À Jour : 15.11.2022
Processus de paix : 34 ans après sa proclamation, l'État palestinien peine à se concrétiser

Tunisia


AA / Tunis / Mourad Belhaj

Le 8 décembre 1987, un camion israélien a percuté une voiture transportant des travailleurs palestiniens, tuant trois d'entre eux et en blessant plusieurs autres.

Les Palestiniens, qui ont vu dans cet accident un acte délibéré de vengeance pour la mort d'un officier israélien à Gaza la veille, ont déclenché un soulèvement dont le nom fait désormais partie de l'histoire : l'Intifada !

Le soulèvement, qui a duré sept ans, et qui a attiré l'attention internationale sur la grave situation dans les territoires occupés, a suscité beaucoup de sympathie et a créé une situation d'isolement progressif pour Israël, alors que la domination coloniale avait pris fin partout dans le monde et que l'illégitimité de l'occupation du point de vue du droit international n'était pratiquement plus contestée.

C'est dans ce contexte que l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) revient sur la scène moyen-orientale, après avoir perdu son bastion libanais au lendemain de l'invasion israélienne de Beyrouth à l'été 1982 et que, encouragé par la démarche de la Jordanie, qui décide le 31 juillet 1988 de renoncer à contrôler la Cisjordanie, le Conseil national palestinien déclare unilatéralement l'indépendance de la Palestine.


- Ainsi naissait un Etat

Lors de sa 19e session tenue à Alger, le 15 novembre 1988, le Conseil national palestinien a proclamé l'État de Palestine avec pour capitale Jérusalem et, en décembre, le leader charismatique de l'OLP, Yasser Arafat, reconnaissait explicitement l’existence de l’Etat d’Israël devant l'Assemblée générale des Nations unies.

Dans le cadre du principe d'autodétermination des peuples, l'Assemblée générale des Nations unies avait déjà accordé le statut d'observateur aux mouvements de libération nationale, estimant qu'il était opportun de dialoguer avec eux. La résolution 3237 des Nations unies du 22 novembre 1975 avait reconnu ce statut à l'OLP, lui accordant le droit de participer aux débats du Conseil de sécurité des Nations unies sur les questions de l'autodétermination du peuple palestinien et du processus de paix au Moyen-Orient.

La même Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 43/177 le 15 décembre 1988, dans laquelle elle a pris note de la proclamation de l'État palestinien et a décidé que le terme "Palestine" serait désormais utilisé au lieu de "OLP", puis a décidé, à partir de 1989, de qualifier la Palestine d'État dans les documents des Nations unies et de lui reconnaître une série de privilèges et de droits, à l'exception du droit de vote.

Ces développements ont été suivis de plusieurs initiatives de paix et, à la mi-1989, l'État de Palestine avait été reconnu par plus de 90 nations. (En avril 2022, 138 des 193 membres des Nations unies (et un observateur) ont reconnu l’Etat de Palestine).

L'OLP a cependant connu des conflits internes, qui trouvaient leurs causes dans les divisions qui marquaient le monde arabe.

Ainsi, lorsque l'Irak a envahi le Koweït le 2 août 1990, la direction de l'OLP était en pleine crise politique et sous la pression de la rue palestinienne, elle décida de faire sienne l'initiative politique proposée par Saddam Hussein le 12 août 1990, qui visait une solution commune à tous les conflits du Proche-Orient, à commencer par le retrait "immédiat et inconditionnel" d'Israël de tous les territoires arabes occupés en Palestine, en Syrie et au Liban.

Mais la défaite que la coalition internationale a infligée à l'armée irakienne et le retrait de celle-ci du Koweït ont été suivis par la mise au pilori de l'OLP, accusée d'avoir soutenu Bagdad. Arafat n’a alors d'autre choix que d'accepter les conditions américaines pour participer à la conférence internationale de paix de Madrid, souhaitée par Washington, et tenue le 30 mars 1991.

À l’issue de cette conférence, les Palestiniens ont entamé des négociations secrètes avec les Israéliens, aboutissant à la déclaration de principes israélo-palestinienne, connue sous le nom d'"Accords d'Oslo", et à la reconnaissance mutuelle entre l'OLP et Israël.


- Des accords d'Oslo à la seconde Intifada

Les Accords d'Oslo de 1993 étaient une déclaration de principes qui établissait que, suivant plusieurs étapes, dans un délai ne dépassant pas cinq ans, les deux peuples devaient parvenir à la coexistence dans deux États distincts, sur la base du principe de la restitution des territoires occupés aux Palestiniens en échange de la paix.

Aux termes d'un nouvel accord, dit accord de Taba, signé le 28 septembre 1995 à Washington par Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, la Cisjordanie est divisée en trois zones : zone A, sous contrôle palestinien ; zone B, sous contrôle conjoint israélo-palestinien ; zone C, sous contrôle israélien.

Mais après l'assassinat de Rabin au mois de novembre suivant, la détérioration générale des relations israélo-palestiniennes conduit à une suspension de facto du processus de paix.

Un tournant significatif s'opère, en octobre 1998, avec le lancement à Wye Plantation, dans l'État américain du Maryland, de négociations entre Yasser Arafat, Benyamin Netanyahu et Bill Clinton, qui se soldent le 23 octobre à la Maison Blanche par la signature officielle d'un mémorandum prévoyant le passage d'environ 40 % des territoires de Cisjordanie sous le contrôle total ou partiel de l'Autorité nationale palestinienne.

Mais c'était sans compter avec l'élément qui allait caractériser la scène politique israélienne pour les 20 prochaines années : la montée de l'extrême droite.


- Le processus de paix première victime de l'extrémisme

Sept ans après la poignée de main historique du 13 septembre 1993 à la Maison Blanche entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, l'Autorité palestinienne n'a pris le contrôle que d'un cinquième de la Cisjordanie et des deux tiers de la Bande de Gaza.

Ces deux territoires, qui ne représentent que 22 % du territoire de la Palestine historique, sont toujours considérés par Israël comme faisant l'objet de négociations, malgré la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies l’exhortant à se retirer des territoires occupés depuis juin 1967.

Or, pendant que les expropriations de terres, la colonisation et la judaïsation de Jérusalem se poursuivent, les conditions de vie des Palestiniens continuent de se détériorer.

La deuxième Intifada, qui éclate en septembre 2000, est la suite logique de cette situation, surtout après l'échec des négociations de Camp David en juillet de la même année entre Yasser Arafat et le successeur de Netanyahu, Ehud Barak.

Ce soulèvement a été déclenché par la visite à la mosquée Al-Aqsa de la figure de l'extrême droite israélienne, Ariel Sharon, revenu sur la scène politique après être tombé en disgrâce pour son rôle dans le massacre de Sabra et Chatila pendant l'occupation israélienne du Liban.

L’Intifada, qui a été déterminante pour l'arrivée de Sharon au pouvoir, a opposé l'autorité nationale palestinienne, qui y voyait l'occasion d'améliorer les conditions de négociation, aux forces nationalistes palestiniennes, qui y voyaient un moyen d'accéder à l'indépendance. Le mouvement de protestation s'est ainsi rapidement transformé en un soulèvement armé, marqué par des attentats à l'explosif, auquel les événements du 11 septembre 2001 donneront une nouvelle dimension.

La politique de l'administration de George W. Bush, successeur de Clinton, peu intéressée par la reprise du dialogue entre Palestiniens et Israéliens, s'est en effet limitée jusqu'alors à soutenir le gouvernement d'Ariel Sharon, ne lui demandant en retour que de faire preuve de retenue avec les Palestiniens. Elle visait à circonscrire la confrontation dans les territoires palestiniens afin d'éviter des conséquences dommageables pour la politique américaine dans la région, essentiellement par rapport à la question irakienne.

Mais au lendemain des attentats du 11 septembre, Ariel Sharon a immédiatement compris que cette nouvelle donne lui permettrait de se présenter comme le fer de lance de la guerre contre le terrorisme, cimentant ainsi l'entente politique entre la droite conservatrice américaine et la droite nationaliste israélienne.


- Le processus de paix "post-11 septembre"

L’administration de George W. Bush, qui a toujours accusé le président de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat d'encourager le terrorisme, n'a cessé depuis 2002, d'insister sur la nécessité d'une réforme. Cela aurait permis d'exclure Arafat à la fois de la direction de l'Autorité palestinienne et de celle de l'OLP.

Pour sa part, le gouvernement de Sharon y a vu une occasion d'affaiblir l'Autorité palestinienne, surtout après l'invasion des villes sous son contrôle par l'armée israélienne et après le siège du quartier général d'Arafat à Ramallah.

Dans ce contexte international hostile aux Arabes, les gouvernements arabes prennent l'initiative. Et lors du sommet des dirigeants de la Ligue arabe qui s'est tenu à Beyrouth en mars 2002, un plan a été adopté pour mettre fin au conflit israélo-palestinien.

En juillet de la même année 2002, le "quartet" composé des États-Unis, de l'Union européenne, des Nations unies et de la Russie a défini les principes d'une "feuille de route" pour la paix, incluant un État palestinien indépendant. La feuille de route a été publiée en avril 2003, après la nomination de Mahmoud Abbas comme Premier ministre de l'Autorité palestinienne. Les États-Unis et Israël avaient tous deux demandé la création d'un poste de Premier ministre, car ils refusaient de traiter avec Arafat.

Après la mort de ce dernier, le 11 novembre 2004, des élections ont été convoquées pour marquer la fin de l'ère de la "légitimité historique".

Le candidat du Fatah, Mahmoud Abbas, est sorti vainqueur de l’élection présidentielle du 9 janvier 2005, avec 63 % des voix. Il avait appelé lors de sa campagne électorale à la fin de la militarisation de l'Intifada et au retour à la table des négociations, considérant que c'est la seule façon de parvenir à une solution politique qui garantisse les droits du peuple palestinien et améliore son image aux yeux de l'opinion publique internationale.

Suite à la victoire du mouvement de résistance Hamas, lors des élections législatives de janvier 2006, un conflit a opposé le mouvement Fatah du président Abbas et le Hamas, à l'issue duquel le Hamas a pris le contrôle de la Bande de Gaza, tandis que le Fatah a conservé le contrôle de la Cisjordanie, scindant ainsi de facto l'Autorité nationale palestinienne.


- Un É​​​​​​​tat de plus en plus incertain

Le rêve de la concrétisation d'un État palestinien a connu une longue traversée du désert, ponctuée d'agressions et d'incursions militaires dans les villes de Cisjordanie, ainsi que d'attaques dévastatrices contre la Bande de Gaza en 2006, 2008, 2009, 2012, 2014, et jusqu'en 2021.

Cela même si le 29 novembre 2012, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 67/19, faisant passer le statut de la Palestine d'"entité observatrice" à "État observateur non membre" au sein du système de l'ONU.

En fait, alors que le processus de paix était dans l'impasse, la colonisation, les expropriations de maisons et de biens palestiniens et la judaïsation des quartiers arabes de Jérusalem se sont intensifiées, culminant avec la crise du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est, une zone qui, en vertu du droit international, fait toujours partie des territoires palestiniens occupés par Israël.

Le rêve des Palestiniens de pouvoir un jour conquérir leur droit à un État, sur leurs territoires occupés depuis 1967, s'est trouvé encore plus compromis par la "contribution" de l'administration Trump au processus de paix israélo-palestinien.

Ledit "Accord du siècle", dévoilé le 28 janvier 2020 et décrit par le président américain Donald Trump comme un plan sans précédent, n'a fait que consacrer ce qui a déjà été réalisé sur le terrain par les gouvernements israéliens successifs depuis le déclenchement du processus d'Oslo.

Les deux cartes figurant dans le plan de 181 pages baptisé "Peace to Prosperity" sont éloquentes : les États-Unis mettent tout leur poids en jeu pour consolider les réalisations déjà accomplies par les Israéliens sur le plan administratif, militaire, urbanistique et économique dans tous les territoires palestiniens occupés. Autour de Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem.

Même si le successeur de Trump à la Maison Blanche, Joe Biden, a relégué aux oubliettes ledit "Accord du siècle" ainsi que tout le legs de Trump, les Palestiniens sont encore loin de voir se concrétiser l'État palestinien auquel ils aspirent. Les dernières élections législatives israéliennes ont dressé une nouvelle barrière devant leur rêve : un gouvernement d'extrême droite dirigé par un certain Benyamin Netanyahu.

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