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Quintessence de l'ingérence en Afrique, la France "jette la pierre" à la Turquie

- Malgré les nombreux faits avérés d'ingérence française en Afrique, le Président français accusant, cette semaine, la Turquie d'immixtion dans les affaires de son pays, a nié toute interférence française à l'étranger. Retour sur les faits.

Ekip  | 26.03.2021 - Mıse À Jour : 26.03.2021
Quintessence de l'ingérence en Afrique, la France "jette la pierre" à la Turquie

France

AA / Paris / Ümit Dönmez

Au cours de sa conférence de presse jeudi soir, à l'issue du sommet du Conseil européen, le Président français, a réitéré ses accusations envers la Turquie, d'ingérence dans les affaires intérieures de la France.

Faisant fi des nombreux médias publics français opérant dans la sphère francophone, et des faits révélés et parfois reconnus d'ingérence française, Emmanuel Macron affirmait également que la France ne s'immisçait pas « dans les élections de pays étrangers ».


- Accusations d'ingérence contre la Turquie

Faisant référence à sa déclaration [1] lors d'un entretien diffusé mardi soir par la chaîne publique « France 5 », et répondant à la question d'une journaliste demandant des clarifications sur ses accusations, Emmanuel Macron a affirmé qu'il s'agissait d'un « constat » de « l’existence d'organisations communautaires, de groupes constitués, de groupes politiques sur le continent européen, qui sont activés par des organes de propagande officiels de Turquie ».

Accusant des institutions turques telles que la Présidence des affaires religieuses (Diyanet İşleri Başkanlığı), Macron a déclaré :

« Parfois ils se mêlent de nos élections, d'autres fois ils se mêlent de nos financements d'associations », et le locataire de l'Élysée d'accuser, sans la nommer, la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian [2], de complaisance :

« Certaines collectivités territoriales sont peut-être un peu trop complaisantes », estimait Emmanuel Macron, présumant également « une ingérence à travers des organismes [turcs] de propagande qui diffusent sur leurs chaînes ».

À défaut de les prouver, le Président français réitérait ensuite ses accusations envers la Turquie :

« Donc oui, les risques d'ingérence sont identifiés pour les échéances à venir, comme ces risques ont été identifiés dans d'autres pays européens », affirmait-il.


- Réaction de la Diplomatie turque

Le ministère turc des Affaires étrangères avait qualifié, mercredi, les propos d'Emmanuel Macron de « regrettables et incohérents ».

Concernant les affirmations de Macron selon lesquelles la Turquie interférera dans les élections françaises, le porte-parole de la Diplomatie turque, Hami Aksoy soulignait l'absence de projection de l'État turc dans les affaires internes de l’Hexagone :

« La Turquie n'a pas d'agenda lié à la politique intérieure de la France, à l'exception du bien-être, de la paix et de l'harmonie de la communauté turque avec une population d'environ 800 mille personnes », déclarait Aksoy.


- La France ne s'immisce pas dans les élections de pays étrangers ?

« C'est un problème, et on ne peut pas prétendre avoir une relation amicale si on ne se dit pas les choses et si on n'essaie pas de les régler », notait encore Emmanuel Macron se voulant sincère dans sa démarche.

Faisant fi des nombreux médias publics français opérant dans la sphère francophone, et notamment sur le continent africain, le Président français concluait sa réponse à la question de la journaliste en affirmant que « la France n'a pas d'organes de propagande » et que cette dernière ne s'immisçait pas « dans les élections de pays étrangers ».

« Vous seriez choqués si ça existait. Il est normal que nous le soyons dans une démocratie comme la nôtre », affirmait Emmanuel Macron.


- Faits révélés d'ingérence française récente en Afrique

Comme le rapportait un article [3] de l'Agence Anadolu (AA) paru en décembre dernier, L'armée française avait été épinglée par Facebook pour violation de la politique contre l'ingérence étrangère, notamment en Afrique.

Le géant américain des réseaux sociaux déclarait avoir « supprimé trois réseaux distincts pour violation de notre politique contre l'ingérence étrangère ou gouvernementale constituant un comportement inauthentique et coordonné (CIB) au nom d'une entité étrangère ou gouvernementale », l'entreprise ajoutant que « ces réseaux sont originaires de France et de Russie et ciblaient plusieurs pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient ».

Selon Facebook, les réseaux liés à l'Armée française visaient « la République centrafricaine et le Mali, et dans une moindre mesure le Niger, le Burkina Faso, l'Algérie, la Côte d'Ivoire et le Tchad ».

Le journaliste du quotidien français "L'Opinion", Jean-Dominique Merchet précisait [4] par ailleurs que « les autorités françaises assument publiquement le fait de conduire des campagnes de cyber influence sur les théâtres d’opérations de l’armée française, à destination des opinions publiques ».


- Aveux d’un président africain concernant l’ingérence française en sa faveur

Au cours d'un entretien [5] télévisé en 2017 avec la chaîne publique française TV5 MONDE destinée à une audience internationale, le Président tchadien Idriss Déby Itno avait ouvertement accusé la France d'ingérence dans la politique intérieure de son pays afin de le faire réélire en 2006 alors qu'il voulait quitter le pouvoir.

« Et comme je l'ai dit, dans la politique africaine, la France intervient souvent. Et je le dis haut et fort : la France est intervenue. Je n'ai pas demandé. J'ai dit ''je ne veux pas changer la Constitution'' [...] Et je n'ai pas fait la campagne [électorale afin de briguer un nouveau mandat après 2006] », avait déclaré le Président Déby accusant la France d'hypocrisie :

« C'est toujours la France qui fait et c'est toujours la France qui critique [les autres pour ce qu'elle fait elle-même], et c'est toujours la France qui est derrière », notait Déby.

Ce dernier avait également précisé qu'il avait refusé la proposition d'un constitutionnaliste français dépêché par Paris pour modifier la Constitution tchadienne afin de permettre au président sortant de briguer un nouveau mandat.

« J'ai refusé, j'ai dit ''je ne change pas'' », ajoutait le Président tchadien.

Déby avait également précisé que la France, dans le contexte de la guerre civile affectant le Tchad, avait utilisé divers moyens et contacts locaux afin de parvenir à ses fins et modifier la Constitution tchadienne, afin de faire réélire le président qui affirmait qu'il aurait quitté le pouvoir, malgré les pressions françaises à son endroit, si son pays ne se trouvait pas embourbé dans une guerre, impliquant également le voisin soudanais.

« Et aujourd'hui, ce sont ceux-là mêmes qui ont changé la constitution, qui me critiquent", avait notamment souligné Déby, pour signifier l'hypocrisie française sur le respect de la démocratie en Afrique.


- Accusations d’interférence en Afrique lors des révoltes et révolutions de 2011

Pourrait-on également rappeler le cas de la révolution tunisienne, le premier des « printemps arabes », et de la prise de position de la ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie en 2011 à l'encontre de la révolte populaire contre le régime tunisien anti-démocratique et agonisant, mais défendu becs et ongles par le gouvernement français, qui avait même proposé d’apporter son expertise pour faire taire l'opposition par la violence des forces de sécurité.

Devrait-on également citer l'exemple de l'opération Harmattan menée en 2011 par la France avec le soutien de ses alliés de l'Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN) en Libye, outrepassant les dispositions de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU) et ayant abouti au renversement du « Guide de la révolution » libyenne, Mouammar Khaddafi.

N'étant aujourd'hui un secret pour personne, à travers la seconde moitié du XXe siècle, la France est intervenue dans les processus politiques de nombreux États d'Afrique francophone, sa sphère d'influence également connue sous le nom de « Françafrique », notamment par un système d'assassinats politiques, de soutien aux dictatures, de coups d'État ainsi que de financement illégal de partis politiques.


Notes :

[1] Emmanuel Macron présuppose une ingérence de la Turquie dans les prochaines élections présidentielles

https://www.aa.com.tr/fr/monde/emmanuel-macron-pr%C3%A9suppose-une-ing%C3%A9rence-de-la-turquie-dans-les-prochaines-%C3%A9lections-pr%C3%A9sidentielles/2186946

[2] La Maire de Strasbourg défend l'octroi d'une aide financière pour la construction de la mosquée Eyyub Sultan

https://www.aa.com.tr/fr/monde/la-maire-de-strasbourg-d%C3%A9fend-loctroi-dune-aide-financi%C3%A8re-pour-la-construction-de-la-mosqu%C3%A9e-eyyub-sultan/2188987

[3] L'armée française épinglée par Facebook pour violation de la politique contre l'ingérence étrangère

https://www.aa.com.tr/fr/monde/larm%C3%A9e-francaise-%C3%A9pingl%C3%A9e-par-facebook-pour-violation-de-la-politique-contre-ling%C3%A9rence-%C3%A9trang%C3%A8re/2078894

[3 bis] Afrique : Facebook révèle une guerre franco-russe sur Internet

https://www.aa.com.tr/fr/afrique/afrique-facebook-r%c3%a9v%c3%a8le-une-guerre-franco-russe-sur-internet/2079085

[4] Cyberinfluence: l’armée française se fait prendre la main dans le sac par Facebook

https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/cyberinfluence-l-armee-francaise-se-fait-prendre-main-dans-sac-232025

[5] Entretien du Président Idriss Déby, Président de la République du Tchad - TV5 MONDE

https://www.youtube.com/watch?v=MvgqYDiuT4w - À partir de 33.12

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