Sénégal: Séché ou fumé, le poisson encense des vies
A Ndéppé, « 230 femmes » regroupés au sein de l’association « Bokk Joom » (ensemble, dans la dignité) s’y activent parvenant ainsi à pourvoir en besoins basiques leurs familles amputées de l’assistance financière d’un père.

Dakar
AA/ Dakar/ Alioune Ndiaye
De braves Sénégalaises trouvent, à travers la transformation du poisson guédj (séché) ou kétiakh (fumé), une source de revenus pour faire vivre leurs familles.
A Ndéppé, un des plus importants sites de transformation artisanale de produits halieutiques du département de Rufisque, « 230 femmes » regroupés au sein de l’association « Bokk Joom » (ensemble, dans la dignité) s’y activent parvenant ainsi à pourvoir en besoins basiques leurs familles amputées de l’assistance financière d’un père. « C’est une activité très rude mais la fatigue, les femmes la supportent parce que ce qu’elles ont derrière elles comme charges familiales relèguent tout en second plan», explique à Anadolu Aissatou Faye, présidente de l’association.
« Certaines sont veuves ou divorcées tandis que d’autres ont des maris dont la main ne leur arrive pas au dos (expression familière pour dire ‘’financièrement pas nanti’’) », poursuit la sexagénaire.
* Autonomes et stoïques
Ndèye Ngom, la cinquantaine, fait partie de la dernière catégorie de femmes citées par la présidente. « Je parviens à assurer avec mes recettes, en plus des autres affaires courantes du foyer, les frais de scolarité de mes 3 enfants », fait savoir la dame. Son mari, ancien chauffeur de car victime d’un accident de la circulation, est devenu « une charge au même titre que les enfants ». Il se déplace avec un fauteuil roulant, depuis 2004.
«C’est le destin qui en a voulu ainsi et je ne m’en plains pas outre mesure. J’ai pris le relais « alhamdoulilah » (Dieu merci, ndlr) les choses vont bien », raisonne-t-elle. Entre achat du poisson frais tôt le matin et l’activité proprement dite allant du fumage au séchage sur des claies en bois en passant par le dépiautage et le salage, les journées ne sont pas de tout repos pour ces femmes dont l’intensité du travail est fortement assujettie aux caprices de la mer.
« Si la mer est bonne, j’arrive à fumer jusqu’à 30 cageots de poisson mais pour les jours où le poisson se fait rare je fais en moyenne sept seulement », renseigne Fatima Samb, affirmant que ses seules journées de repos sont celles pour lesquelles il n’y a le moindre poisson au quai de débarquement, situé à quelque 200 mètres de leur lieu de travail.
Divorcée depuis bientôt une décennie et mère de 5 enfants, la femme de petite taille, semblant bien plus âgée que ses 43 ans, parvient par l’activité à agrémenter, en plus de son foyer où vit aussi sa mère, la vie d’autres familles. « Des femmes à la situation précaire et aussi des hommes viennent solliciter un travail en période de surabondance du poisson moyennant une rémunération journalière variant entre 4000 et 2500 francs cfa (6,4 et 4 usd) pour chacun », laisse-t-elle entendre avec grande fierté.« Je prends certains juste pour leur permettre d’avoir quelque chose à ramener à la maison », enchaine-t-elle tout en précisant ne jamais excéder sept employés.
• Des espèces privilégiées
Inhalant sans masque, comme les autres dames du site, les fumées âcres qui s’échappent des foyers incandescents pour le fumage du poisson, Fatou Guèye est une transformatrice aguerrie de poisson séché. « On ne fait pas recours au feu. Juste dépecer le poisson pour en extraire la matière périssable, saupoudrer avec du sel iodé puis exposer sur les claies de séchage », résume-t-elle, annonçant un chiffre d’affaire journalier pouvant aller jusqu’à 25 mille francs cfa (40 usd).
« On utilise différentes espèces de poisson pour le guédj et les prix du produit fini oscillent en fonction de la qualité », fait savoir la dame évaluant « entre 2500 et 1800 francs Cfa (4 et 2,8 usd) le kilogramme de poisson séché ».
Cette activité qui lui a procurée un toit propre à elle, bien des années après le décès de son mari, elle s’y est plu au fil du temps malgré des débuts à contre cœur guidées par la recherche d’un moyen de subsistance pour sa famille de 7 enfants. «Après 22 ans de pratique je ne regrette pas d’avoir persévéré dans l’activité », se réjouit-elle.
La sardinelle est l’espèce de préférence pour faire du kétiakh et avec un cageot on peut arriver à obtenir plus de 40 kilogrammes de produit fini. Le poisson fumé occupe une place importante dans les préparations culinaires ; que ce soit pour se substituer au poisson frais pour le riz au poisson, plat préféré des Sénégalais au déjeuner ou pour le couscous du soir qu’il accompagne à merveille avec des haricots. Transformé en farine, le poisson fumé entre aussi dans la fabrication d’aliments pour volaille.
* Vers la modernisation de l’activité
Les méthodes traditionnelles de fumage ne sont pas sans effets indésirables, selon El Hadj Mamadou Ndao, inspecteur départemental des pêches. Pour autant, les femmes ne sont pas traquées par ses services. « Nous les accompagnons à améliorer les produits. Vu que c’est un phénomène ancien et toujours à l’état traditionnel permettant à des milliers de personnes de subvenir aux besoins de leurs familles, il est difficile d’appliquer dans l’immédiat la mesure d’interdiction du fumage à même le sol », consent-il dans une déclaration à Anadolu.
Les services concernés ne sont toutefois pas restés les bras croisés. Ndao a dans la foulée annoncé « la construction de fours et de bagues sur le site pour moderniser l’activité ». Un projet qui à l’en croire va démarrer dans 3 mois.
« Il sera ainsi possible d’ouvrir la voie aux exportations avec des produits répondant aux normes hygiéniques et sanitaires », prévoit ainsi Ndao pour qui la production annuellement du site est de 600 tonnes de produits au total.