
Ile-de-France
AA / Paris / Ümit Dönmez
Un employé du ministère français de l'Économie et des Finances a été mis en examen en décembre dernier pour des faits présumés d'espionnage au profit de l'Algérie. Il est soupçonné d’avoir divulgué des informations confidentielles sur des ressortissants algériens en France, dont certains opposants au régime d'Alger.
Cité par la presse française, le parquet de Paris a confirmé mercredi que le fonctionnaire est poursuivi pour "intelligence avec une puissance étrangère", "livraison à une puissance étrangère d'informations sur intérêt fondamental à la nation" et d’autres chefs d'accusation liés à l'espionnage et à la sécurité nationale.
L'homme, qui travaille dans une sous-direction de Bercy, aurait été en contact régulier avec un employé du consulat d'Algérie à Créteil, soupçonné d’être un agent des services de renseignement algériens sous couverture. Selon une source proche de l'enquête, le suspect lui aurait transmis des données sensibles sur des demandeurs d’asile algériens, parmi lesquels des figures notoires de l'opposition.
- Une affaire aux ramifications inquiétantes
D'après cette même source, les informations concernaient notamment Amir Boukhors et Mohamed Larbi Zitout, qui seraient deux opposants sous mandat d'arrêt international pour terrorisme, ainsi que Chawki Benzehra, un influenceur algérien. D'autres victimes présumées incluent un journaliste réfugié et un Algérien ayant déposé plainte en France contre un général de l'armée algérienne.
Certaines de ces personnes auraient subi des menaces de mort, des violences ou des tentatives d'enlèvement, sans qu’un lien direct avec les fuites d’informations ne soit pour l’heure établi, a précisé la source proche de l’enquête.
Selon l'enquête en cours, le fonctionnaire de Bercy aurait obtenu ces informations par l'intermédiaire d'une assistante sociale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), avec qui il entretenait une relation intime. La quadragénaire, mise en examen le 7 février pour violation du secret professionnel, aurait consulté un logiciel confidentiel à sa demande, sans, selon elle, percevoir de contrepartie.
- Une enquête en cours
La presse française rapporte que l'affaire a débuté en juin 2024, lorsque la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a été alertée d’un lien suspect entre l'employé de Bercy et un agent algérien. En novembre, les investigations ont été confiées à deux juges d'instruction. L’accusé, placé sous contrôle judiciaire, affirme être victime d’une "manipulation" orchestrée par un service étranger, selon son avocat, Me Sipan Ohanians.
L'enquête, qui porte également sur la "soustraction et divulgation de secret défense nationale" et la "provocation à un crime de trahison ou d’espionnage", est toujours en cours.
- Tensions franco-algériennes
Pour l'heure, l'Algérie n'a pas encore réagi à cette affaire, mais elle intervient à un moment où les tensions sont exacerbées par les déclarations successives de politiciens français.
Pour rappel, les relations entre l’Algérie et la France sont tendues, avec un contentieux historique très profond. En plus de la question des archives et de la restitution des biens confisqués, l’Algérie réclame des réparations sur les essais nucléaires français en Algérie et l’indemnisation des victimes. L’Algérie souhaite également la reconnaissance des crimes coloniaux par la France officielle.
Mais les relations entre les deux pays se sont davantage dégradées à l’été 2024, sur fond de reconnaissance, par Paris de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
En réaction, l’Algérie a rappelé son ambassadeur à Paris et le Président Abdelmadjid Tebboune a annulé un déplacement en France, initialement prévu en septembre 2024.
Plus récemment, l’emprisonnement de Boualem Sansal et le refus d’admettre sur son sol, ses ressortissants en situation irrégulière, dont l'influenceur algérien Doualemn, ont suscité la colère des autorités françaises qui menacent désormais de recourir au « rapport de force », selon les déclarations du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.
Côté algérien, le président Abdelmadjid Tebboune a pointé « des déclarations hostiles tous les jours de politiques français », qualifiant le dialogue avec le président Macron de « perte de temps » et mettant en garde contre « une séparation qui deviendrait irréparable ».
« Nous avions beaucoup d'espoir de dépasser le contentieux mémoriel (...). Mais, plus rien nʼavance si ce nʼest les relations commerciales. Le dialogue politique est quasiment interrompu », a-t-il déploré.