High-tech au service de la guerre, quelles perspectives ?
- La formidable évolution de l’armement vers plus de précision et d’efficacité, avec l’apport des nouvelles technologies, soulève des problématiques diverses qui questionnent cette nouvelle manière de faire la guerre

Tunisia
AA / Tunis / Mounir Bennour
Le lien entre technologie et guerre a toujours été des plus étroits depuis les débuts de la civilisation. La capacité d’infliger une destruction physique assurée à l’ennemi n’a cessé de gagner en efficacité, jusqu’à atteindre son paroxysme au XXe siècle, notamment durant la première et la deuxième guerres mondiales.
Pour gagner sur un champ de bataille, il est toujours nécessaire de produire des armes améliorées en termes de précision, de portée et d’efficacité, entre autres impératifs tactiques.
Alvin et Heidi Toffler, auteurs et futurologues américains avaient écrit dans leur ouvrage, intitulé Guerre et contre-guerre, survivre à l’aube du XXIe siècle : “Les armées qui pouvaient atteindre plus loin, frapper plus fort et y arriver plus rapidement gagnaient généralement, tandis que les armées à portée limitée, moins bien armées et plus lentes perdaient. Pour cette raison, une grande quantité d'efforts créatifs humains ont été déployés pour étendre la portée, augmenter la puissance de feu et accélérer la vitesse des armes et des armées“.
Le progrès scientifique a permis de développer de nouvelles technologies tant à usage militaire que civil, changeant à la fois la manière de vivre en société et la nature même du combat sur les champs de bataille, au point de changer la donne dans la manière d’envisager un conflit armé ou non-armé (guerre électronique et cyber attaque).
La guerre menée par la Russie en Ukraine a mis en exergue cette évolution technologique sur le champ de bataille, si bien que certains experts n’hésitent pas à qualifier le conflit de “la guerre la plus avancée technologiquement que l'humanité ait jamais vue jusqu'à présent“, sans pour autant changer le concept de guerre, comme l’avait souligné le général et théoricien militaire prussien Carl Philipp Gottlieb von Clausewitz, depuis l’ère des guerres napoléoniennes, dans son livre De la guerre : "La guerre est donc un acte de force pour contraindre notre ennemi à faire notre volonté".
Autrement dit, si la forme et les moyens du conflit changent, ils n’en demeurent pas moins soumis aux mêmes principes, surtout en la quasi absence de réflexion de fond sur la question de la guerre.
-- Technologies utilisées dans une guerre moderne
Dans son article datant du 24 février 2023, le magazine "Tech Informed", spécialisé en high-tech dénombrait au moins une dizaine de technologies utilisées dans le conflit russo-ukrainien, dont certaines sont déconcertantes : cyberattaques, satellites, artillerie et systèmes de missiles (super et hypersoniques), guerre électronique, drones, applications mobiles, simulation de réalité virtuelle (VR), réalité augmentée et hologrammes, intelligence artificielle (IA), réseaux sociaux…
Les plateformes à usage civil peuvent être militarisées pour conférer un avantage certain sur le champ de bataille, les troupes ukrainiennes ont par exemple utilisé l’application Diïa, initialement prévue pour le stockage de documents officiels qui a été transformée en une interface pour communiquer les mouvements ennemis, et fournir des informations en temps réel aux troupes au sol sur les évolutions des batailles et les attaques en cours.
Les drones constituent l’un des étendards emblématiques de la guerre 2.0, en témoigne l’usage intensif tant par les Russes que par les Ukrainiens.
De la reconnaissance aux frappes chirurgicales, ces appareils commandés à distance obtiennent des résultats plus ou moins tangibles avec une prise de risque limitée tant pour les troupes que pour les finances.
L’usage d’un drone de grade militaire, élimine ou du moins limite fortement les risques de perdre la vie tout en ayant un coût allant de quelques milliers à moins de 200 000 dollars, selon les modèles, l’usage et la technologie embarquée.
Ce coût est relativement faible par rapport à celui d’un avion de combat, beaucoup plus risqué tant sur le plan humain (mettant la vie du ou des pilotes en jeu) que sur le plan financier avec un coût, qui, selon les modèles aussi, va de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de millions de dollars.
En la matière, la compagnie turque Baykar a fourni le drone Bayraktar TB2 qui a fait ses preuves durant le conflit en volant durant plus de 24 heures à une altitude de plus de 8 000 mètres, en transportant des bombes à guidage laser ou des missiles antichars à longue portée air-sol UMTAS, pour attaquer des véhicules, des troupes au sol et des bases et campements militaires.
En matière d’armement, la haute technologie a permis à plusieurs nations d’imaginer et de fabriquer des “Wunderwaffen“ (terme qui signifie littéralement “armes miraculeuses“, et remonte à la Seconde Guerre mondiale lorsque les Nazis avaient développé des armes et des systèmes d’armes qui étaient supposés leur faire gagner la guerre).
Les F-35 américains, avions de combat de dernière génération des Etats-Unis suscitent les convoitises de plusieurs pays. Ces concentrés de technologie sont très coûteux. Les missiles hypersoniques, à l’instar du missile russe Kinjal utilisé actuellement dans le conflit ukrainien, constitue aussi une super arme, quasiment impossible à contrer avec les moyens disponibles.
Les Etats-Unis et la France, pour ne citer que ceux-là, tentent d’ailleurs de développer leurs missiles hypersoniques qui semblent destinés à faire partie des incontournables des arsenaux futurs.
-- Limites des armes high-tech
Selon le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), les “super armes“ sont “chers, complexes à produire, nécessitent des matières premières ou des composants stratégiques qui doivent être importés (terres rares, composants électroniques, titane, etc.) ; ils exigent de la main d’œuvre qualifiée, donc longue à former, et ont besoin de beaucoup de maintenance“. Tous ces critères soulignent la vulnérabilité inhérente à la perte de ce type d’arme.
Dans son article Guerre de haute intensité : “High-tech“ ou “Low-tech“ le CF2R souligne la vulnérabilité des armements à haute technologie aux cyberattaques, aux attaques électroniques ainsi qu’aux attaques électromagnétiques.
“Il est facile de constater combien nos équipements sont aujourd’hui vulnérables. Tous les scénarios aujourd’hui envisagés dans le cadre d’une guerre de haute technologie peuvent être rendu caducs si au moins une de ces trois attaques réussit. Ces trois vulnérabilités que nous nous sommes nous-même créées et que nos ennemis ne manqueront pas d’exploiter, pourraient nous renvoyer brutalement un siècle en arrière“, affirme la même source.
D’autres chercheurs en matière de défense ont relativisé le rôle de la technologie pour gagner des guerres. Dans son article “How not to war“ (Comment ne pas faire la guerre), Stephanie Carvin, professeur associée à l’Université Carlton, Ottawa, affirme que si la technologie permet de garantir une “guerre facile“, elle ne garantit nullement la réalisation des objectifs politiques du conflit.
“La technologie permettrait aux États-Unis d'éviter les coûts traditionnels de la guerre : mobilisations de masse, conscriptions et rationnement. Sachant que la plupart des citoyens ne ressentiraient jamais les effets de leurs décisions, les décideurs pourraient facilement entrer en guerre. Mais le fait qu'une guerre qui s'engage facilement et se déroule à distance ne garantit pas que les objectifs politiques seront atteints, ni qu'il y aura une issue aisée“, affirme Carvin.
La chercheuse pointe aussi la facilité avec laquelle la supériorité technologique de l’armement pourrait induire des “nations qui possèdent un gros marteau technologiquement précis et sophistiqué à soudainement considérer les problèmes mondiaux comme des clous pratiques et faciles à réparer“.
Elle souligne aussi qu’il n’existe pas de guerre “propre“ et que le fait que toute guerre exige un lourd tribut en vies humaines, même si le bilan pourrait être mitigé par la précision des armements qui éviteraient (en théorie) de lourds dommages collatéraux, une affirmation que certains pourraient démentir notamment avec le bilan des frappes de drones menées par les Etats-Unis au Yémen, sous l’administration Obama, qui a fait un lourd bilan en pertes humaines collatérales.
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