Côte d’Ivoire: De quoi souffre l’armée ivoirienne ?
-En Côte d’Ivoire, alors que le pays semblait avoir renoué avec un environnement paisible après la série de mutineries de 2017, la cohésion au sein l'armée est une fois de plus mise à l'épreuve.
Cote d'Ivoire
AA/Abidjan/Fulbert Yao
En Côte d’Ivoire, alors que le pays semblait avoir renoué avec un environnement paisible après la série de mutineries de 2017, la cohésion au sein l'armée est une fois de plus mise à l'épreuve.
Début janvier, l’on assiste, à la surprise générale, à des rixes entre des éléments du 3è bataillon militaire d’infanterie située à Bouaké et des éléments du Centre de coordination des opérations décisionnelles (CCDO) de la même ville (Bouaké, qui a été le point de départ de la vague de mutineries qui a secoué le pays il y’a à peine un an).
Un affrontement à l’arme lourde entre deux factions au sein des Forces armées de Côte d’Ivoire (FACI) qui intervient quelques jours seulement après le message du nouvel an du président ivoirien, Alassane Ouattara, dans lequel il promettait de « restaurer la discipline au sein de l’armée, de la moderniser et la transformer en une armée républicaine ».
Un autre couac des hommes en armes qui n’est pas sans rappeler l’état de santé fragile de l’armée ivoirienne sept ans après la fin de la crise postélectorale.
Mais de quoi souffre l’armée ivoirienne ? Dans un entretien avec Anadolu, le spécialiste ivoirien des questions de défense et enseignant-chercheur à l'université Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan, Arthur Banga, explique que la situation traduit clairement un manque de « cohésion», «d’autorité du commandement», et « l’indiscipline », qui trouve son origine dans la nouvelle configuration de l’armée en place depuis la crise postélectorale de 2011.
-Chronologie des récents échanges de tirs à Bouaké
Tout commence dans la nuit de jeudi 4 janvier au vendredi 5 Janvier 2018. Une altercation entre des éléments du CCDO (Centre de Coordination des Décisions Opérationnelles, une unité mixte) et des soldats du BASS (Bataillon d'artillerie sol sol). Des échanges de tirs s’en suivront, provoquant « le décès par balles du sergent-chef Dembélé Yacouba et un blessé »,rapporte un communiqué du ministère de la Défense.
Quatre jours plus tard, rebelote. « Suite aux événements survenus le vendredi 05 janvier, un groupe de militaires de certaines casernes de Bouaké s’en prend au cantonnement du Centre de Coordination des Décisions Opérationnelles (CCDO) situé dans le quartier Sokourade Bouaké dans la nuit du mardi 9 janvier 2018. Au terme des tirs qui ont pris fin aux environs de minuit, le bilan s’établit comme suit : Un blessé léger pris en charge par les services de santé, deux véhicules incendiés et un autre endommagé, des locaux du CCDO mis à feu » explique dans un communiqué le Général Touré Sékou, Chef d’état-major général des Armées.
Ce n’est pas la première fois que les militaires ivoiriens en arrivent aux armes depuis la fin de la crise postélectorale de 2011. Déjà, en novembre 2014, une vague de protestation de soldats était partie de Bouaké (fief de l’ancienne rébellion) pour s'étendre à Abidjan, la capitale économique, et d'autres villes du pays, pour réclamer une prime exceptionnelle.
Ils avaient remis le couvert en janvier et mai 2017. 8 400 anciens rebelles intégrés dans l’armée se sont alors mutinés, réclamant le paiement de primes de 12 millions de francs CFA (20.000 usd).Les revendications de ces soldats tournaient aussi autour d'augmentations salariales et de l'évolution des carrières.
-Une indiscipline persistante
Pour le spécialiste ivoirien des questions de défense, Arthur Banga, cette indiscipline est "caractéristique des hommes en armes".
"La Côte d’Ivoire a passé une décennie de crise (2002-2011), où on a eu une armée régulière (fidèle à l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, désormais détenu à La Haye) qui combattait les rebelles (dirigés par Guillaume Soro, l’actuel président de l’assemblée nationale). Et ces rebelles, qui n’étaient fidèles qu'à leurs commandants de zone, réglaient leurs différends par les armes", souligne-t-il.
"Ces agissements sont devenus comme un réflexe pour les soldats issus des Forces nouvelles (les rebelles intégrés). Ils prennent la tête de l’armée ivoirienne, mais ils n’ont pas eu le temps de se faire former en tant que soldats, d’apprendre la déontologie du métier…Ils ont surtout conservé les réflexes des années de la rébellion et finalement ils persistent dans cette attitude de mercenaire, de rebelle plus que de militaire», détaille-t-il.
-Une armée minée par la guerre de succession en perspective ?
Si la prochaine présidentielle n'est prévue qu'en 2020, la guerre de succession de l'après Alassane Ouattara, pourrait être aussi une raison des tensions récurrentes au sein de l’armée ivoirienne, relève l’expert.
L’on prête des ambitions présidentielles à Guillaume Soro, l’actuel président de l’assemblée nationale, au point de le soupçonner d’agiter l'ancienne rébellion, sur laquelle il conserve une certaine influence.
La découverte d'une cache d'armes en mai 2017, dans une résidence appartenant à son directeur du protocole Souleymane Kamaraté, alias Soul to soul (actuellement en prison), place l’actuel président de l’assemblée nationale dans une position délicate.
D’un autre côté, une certaine fragmentation au sein de l’armée ivoirienne reste encore perceptible.
Avec des soldats qui s’apparentent toujours à un tel ou tel autre ex-commandant de zone de l’ex-rébellion, aujourd’hui nommés à différents postes de commandement au sein de l’armée ivoirienne.
Si les « ex-Com zones » restent loyaux à Alassane Ouattara, il n’en demeure pas moins que certains gardent toujours des liens intrinsèques avec Guillaume Soro, qui lui-même est en rivalité latente avec Hamed Bakayoko, l’actuel ministre de la défense.
« C’est une armée très politisée », commente l’analyste.
Sous-jacent à tout cela, cette division de l’armée est persistante et elle est le reflet de l’absence de réconciliation nationale au niveau politique.
-Comment réussir la cohésion et ramener la discipline dans l’armée ?
Pour l’universitaire, afin de discipliner et réussir une cohésion au sein de l’armée ivoirienne, il ne faut pas lésiner sur les efforts.
«Il faut gagner la confiance des troupes. Pour cela, les dirigeants militaires ne doivent pas favoriser un groupe plus que l’autre. Il faut de l’équité, de la justice, y compris dans les promotions et les avantages. On ne peut pas donner à certains 20 mille dollars de dédommagements et à d’autres non. Il faut que tous, soient traités de la même façon ».
- Du sang neuf dans les troupes
Fin décembre 2017, 991 militaires (3 officiers, 234 sous-officiers et 354 militaires du rang) ont accepté un départ volontaire de l’armée dans le cadre d’une réforme du gouvernement visant à réduire l’effectif de l’armée de 4.000 hommes d’ici à 2020.
De source militaire, l’armée ivoirienne comptait avant ce départ, 23 000 hommes du rang (dont 13 000 issus de la rébellion) et pas moins de 15 000 sous-officiers. Les experts estiment qu’une armée doit avoir 20 % à 30 % de sous-officiers et 65 % à 70 % de militaires du rang.
Pour Arthur Banga, cette initiative de réorganiser l’armée est à encourager, estimant qu’elle va « permettre d’envisager de nouveaux recrutements pour rajeunir, corriger les erreurs du recrutement qu’il y a eu par le passé».
Concernant toujours la réorganisation de l’armée, rappelons que plusieurs stratégies sont mises en œuvre par l’Etat.
Depuis juin 2017, le président Alassane Ouattara a confié le portefeuille de la Défense, au ministre Hamed Bakayoko, auparavant ministre de l’intérieur et de la sécurité.
À l’origine de cette décision, la volonté de mettre fin à la zizanie dans les rangs des hommes en armes, en prenant à bras-le-corps l’indispensable réforme de l’armée et faire cesser les remous dans les casernes.
Au niveau des projets, en vue d’améliorer les conditions de vie et de travail des Forces Armées de Côte d’Ivoire (FACI), le Gouvernement a décidé, le 4 octobre 2016, de la construction de quatre hôpitaux militaires à Abidjan (sud), Bouaké (centre), Korhogo (nord) et Daloa (centre-ouest) pour un montant de 41,6 milliards de francs CFA (76 millions USD), et de dégager immédiatement une enveloppe de cinq (05) milliards de francs CFA (9 millions USD) en vue de la réalisation de travaux urgents dans les casernes militaires, notamment la construction et la réhabilitation de cuisines et de réfectoires.
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