La Centrafrique ne veut pas d'une nouvelle crise malgré les violences sporadiques (Analyse)
Le regain de violence est alarmant en Centrafrique qui émerge à peine de la tourmente, mais ni la population, ni les forces politiques aussi bien nationales qu'internationales ne veulent voir le pays replonger dans le chaos

Bangui
AA/Bangui/Constantin Ngoutendji
La tempête ne soufflera pas de nouveau sur la Centrafrique grâce à la volonté populaire et politique, assurent les experts interrogés par Anadolu, qui reconnaissent, toutefois, que les violences qui ont secoué le pays ces derniers jours ont des allures d'inquiétants cumulonimbus.
La RCA semble en effet avoir renoué avec une violence alarmante ces derniers jours, quelques mois seulement après être sortie de plus de deux ans et demi de conflits intercommunautaires ayant fait des centaines de morts des dizaines de milliers de déplacés et de réfugiés, selon l'ONU.
Toutefois, en agissant vite, il n'y aura pas de scénario équivalent à celui de 2013, estime Marie Thérèse Kéïta Bocoum, experte indépendante de l'ONU.
«Nous avons assez compté les morts en Centrafrique et les communautés aussi bien chrétienne que musulmane ne veulent pas en enregistrer davantage. Les derniers événements sont à prendre comme des signaux d'alerte pour la suite. Le gouvernement doit penser à la protection des populations et agir en ce sens conjointement avec les forces nationales et internationales pour arrêter ceux qui veulent semer le trouble», juge-t-elle.
Les violences ont été nombreuses ces derniers jours en RCA. Le 17 juin dernier, le chauffeur d'un convoi de Médecins sans frontières a été tué par des hommes armés dans le centre-est du pays, selon MSF qui a suspendu ses activités sur l'ensemble du territoire durant trois jours.
Entre le 19 et le 20 juin, au moins seize personnes ont été tuées dans des affrontements qui ont opposé cette fois des éleveurs peuls soutenus par des éléments de l’ex-Séléka à des habitants soutenus par des anti-Balaka près de Kaga Bandoro, dans le nord-ouest du pays, selon des sources sécuritaires.
D'après un communiqué de la force onusienne en RCA (Minusca), «ces combats -dont l'origine serait confessionnelle- ont aussi occasionné un déplacement important de la population civile», tandis que «des maisons ont été brûlées et des biens saccagés».
La force onusienne a déploré cette flambée de violence, la plus grave dans le pays depuis l’élection du président Faustin-Archange Touadéra en février dernier.
Des violences enregistrées également à Bangui, dans l’enclave musulmane du PK-5 où le kidnapping de six policiers centrafricains par un groupe armé non identifié le 19 juin, a été suivi par des affrontements entre ravisseurs et Forces nationale et internationale dès le lendemain. Bilan: Trois morts du côté des assaillants, selon la Force onusienne Minusca, au moins 7 morts et une vingtaine de blessés, d’après des sources médicales.
Si certains observateurs estiment que ces incidents ont pour objectif de déstabiliser le pouvoir du président Touadéra, et la paix qui régnait depuis les élections générales (fin 2015 début 2016) d’autres tiennent à calmer les esprits, assurant qu'ils ne sont pas annonciateurs d'une nouvelle crise et insistent sur la nécessité d'une «union sacrée», d'après les déclarations recueillies par Anadolu.
«Aujourd'hui, je lance un SOS aux Centrafricains de tous bords pour qu’ils évitent les erreurs du passé», déclare, en ce sens, le secrétaire exécutif de la Coordination des Musulmans centrafricains (COMU), Ali Ousmane, rencontré à Bangui.
«J’appelle le gouvernement à prendre ses responsabilités et à appliquer convenablement la loi, que cette justice populaire cesse», a-t-il encore dit en allusion aux règlements de comptes entre divers groupes.
Un discours que partage Chantal Solange Touabena, coordonnatrice de la plateforme des organisations de la société civile. «Il appartient au gouvernement et à la Minusca de garantir la sécurité sur le territoire national», dit-elle, ajoutant : «Le sang a déjà trop coulé. Aujourd’hui, nous voulons reconstruire».
Aux côtés des appels à la non-violence, des appels à «l’action» fusent de toute part, notamment dans les milieux politiques. Le président de l'Assemblée nationale, Abdou Karim Meckassoua, joint par Anadolu, insiste sur la nécessité d’actions concrètes pour mettre fin à ce cycle de violences.
«La condamnation seule ne suffit pas. Nous avons aujourd'hui une forte détermination à éradiquer ces violences», précise celui dont l'élection à un poste clef de la scène politique centrafricaine incarne la réconciliation du peuple centrafricain, selon la communauté musulmane.
«Tout criminel devra être traduit en justice. Il est temps maintenant d'agir», a-t-il insisté.
Les parlementaires prévoient d'ailleurs dans les prochains jours, une session extraordinaire consacrée à la situation sécuritaire du pays et dont l’objectif sera de juguler cette menace, confie-t-il à Anadolu.
De son côté, la Mission onusienne multiplie les appels à l’endroit des groupes armés et des mouvements affiliés aux ex-rebelles, «pour mettre l’intérêt des civils au-dessus de toute autre considération».
La mission a par ailleurs réitéré sa disponibilité à trouver une solution à cette crise liée notamment «au problème majeur de la transhumance», et ce, en collaboration avec le gouvernement centrafricain et les acteurs impliqués dans les différents incidents.
La Minusca a, en outre, réaffirmé «sa détermination à faire régner la stabilité et la sécurité en Centrafrique et à protéger la liberté de mouvement des communautés».
«Elle demeure disposée à apporter tout l’appui nécessaire afin de mener des enquêtes visant à identifier les instigateurs des troubles qui devront répondre de leurs actes devant la justice», assure la force onusienne.
Face à la recrudescence de la violence et ses conséquences fâcheuses sur les populations civiles, le désarmement des groupes armés apparaît comme l'ultime porte de sortie de la crise en Centrafrique, estime Alain Kaïmba, politologue. Il explique que cela doit concerner toutes les branches de l'ex-Séléka (à majorité musulmane), les rebelles de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA- chrétienne) et des milices Anti-balaka (chrétiens) devenues groupes d'auto-défense.
Inscrit dans les recommandations du Forum de Bangui (10 mai 2015), l'été dernier, le processus de Désarmement Démobilisation et Réinsertion (DDR) prévoit que quelques milliers de miliciens (entre 4 et 5 mille environs, selon des sources onusiennes) soient cantonnés (déjà avant les élections), dans des sites où ils seront également désarmés et pris en charge.
Ils pourront ensuite prétendre à une intégration dans les corps en uniforme de l'Etat, qui après avoir été dissous lors du coup d'Etat de mars 2013, comptent aujourd'hui officiellement 7 mille soldats. Certaines sources militaires affirment cependant que ces corps ne dépassent pas les 3 mille dont la majorité est non armée.
Cependant ce programme n'a pas encore été appliqué, faute de financement d’une part et de mésentente entre le nouveau pouvoir et les milices de l'autre.
Même Washington a fait preuve de sa volonté de pérenniser la paix en Centrafrique puisque l’ambassadeur des Etats-Unis à Bangui, Jeffreys Hawkins, a annoncé mardi que son pays «dispose d’une enveloppe de 12 milliards de F CFA (20 millions USD)» qui seront prochainement mis à la disposition des autorités centrafricaines pour financer les opérations de désarmement et de réinsertion des ex-combattants.