Afrique

Les Peuls, un peuple sans frontières qui accentue l’embrouillamini au Sahel

Pris entre deux feus, subissant et les représailles des Touaregs et les exactions des forces militaires qui les assimilent à des "djihadistes", les quelques 40 millions de Peuls en Afrique préfèrent riposter à leur manière même s'ils sont convoités par les groupes armés.

Mohamed Hedi Abdellaoui  | 30.06.2016 - Mıse À Jour : 01.07.2016
Les Peuls, un peuple sans frontières qui accentue l’embrouillamini au Sahel

Tunis


AA/ Tunis/ Mohamed Abdellaoui avec la contribution de Mohamed Ag Ahmedou

Pour certains, ils sont une épine dans le pieds des Etats d’une région vaste et instable, pour d’autres, ils pourraient , si l'on révise les politiques économiques et sociales, contribuer à l’économie et à la pacification d’une bande sahélo-saharienne de plus en plus embrasée.

Les Peuls, peuple sans frontières présent dans une quinzaine de pays africains, sont montés au créneau ces derniers temps," portant un coup dur" au projet, si ce n’est, au rêve de pacification d’une région minée par des conflits de tout acabit.

Ce peuple pasteur compte près de 40 millions de personnes et est concentré principalement au Nigéria (16 millions), en Guinée (4,9 millions), au Sénégal (3,6 millions), au Cameroun (2,9 millions), au Mali (2,7 millions), au Niger (1,6 million), au Burkina Faso (1,2 million), au Tchad (580 mille), en Côte d’Ivoire (423 mille), en Mauritanie (400 mille), en Gambie (321 mille) et en Guinée Bissau (320 mille), selon l’anthropologue peul Abdoulaziz Diallo interviewé par Anadolu.

La présence des Peuls en Afrique ne se limite néanmoins pas aux pays susmentionnés, on les trouve également au Bénin, au Togo, en Sierra Leone et dans les deux Soudan. Sauf qu’il n'y a pas de chiffres illustrant l'importance de leur présence dans ces pays.

Nomades de tradition, ces hommes de tout temps marginalisés par les pouvoirs et constamment absents des politiques de développement initiées dans lesdits pays, constituent aujourd'hui un terreau fertile pour les groupes armés et extrémistes évoluant dans le Sahel, disent certains observateurs et analystes.

La situation qui prévaut actuellement dans le centre du Mali indique la complexité du processus de sortie de crise. A ce propos, l’anthropologue malien Boukary Sangare note dans un rapport intitulé «Le centre du Mali, épicentre du djihadisme ? », qu'en réaction aux exactions de l’armée à leur endroit, plusieurs Peuls ont rejoint les rangs des groupes extrémistes et armés, dont le Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) ou encore Al-Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi).

Le traitement qu’ils ont subi de la part des militaires maliens lors des ratissages menés après les bombardements des positions des djihadistes par les troupes de l’opération française Serval, n’a fait que jeter de l’huile sur le feu, fait-il observer.

Après la reconquête du Nord-Mali, à l’aide de l’intervention française, les soldats maliens "avides de revanche" y ont exprimé, selon Sangare, «toutes leurs frustrations» cédant à plusieurs amalgames, dans la première région réoccupée : le Macina (Centre). Ce qui a alimenté le ressentiment des Peuls à l'égard de tout ce qui représente l'Etat. Ils ont ainsi cherché à s’armer et à établir des alliances avec les groupes armés extrémistes évoluant dans la région. Le combat des Peuls au Mali se veut ainsi un «hybride entre Djihad et révolte sociale», soutient l’anthropologue.

Abondant dans le même sens, l’historien et président de l’association Tabital Pulaaku, Abdoul Aziz Diallo avise que le sort des communautés peules est presque le même dans tout le Sahel africain ainsi que dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest et de l'Est. Pourtant, une meilleure intégration de ce peuple dans les cycles économiques des pays concernés contribuera efficacement à leur croissance, surtout que l'élevage représente environ deux tiers des PIB de ces Etats, relève la même source.

«Au Mali comme au Tchad, au Niger comme en Centrafrique, au Cameroun et dans le nord du Nigéria entre autres, les Peuls sont relégués au dernier rang. Les hommes sont livrés à leur propre destin face à un désert peu clément. Puis, les régions où certains ont fini par s’installer sont toujours exclues des plans de développement. Voilà pourquoi les Peuls font leur révolution», résume l’historien.

* Précarité et exclusion

Originaires de l'Egypte antique et ayant participé activement au rayonnement de l’islam sur le sol africain aux 17ème et 18ème siècles, selon l'historien et enseignant universitaire Cheikh Anta Diop de Dakar, Moussa Lam, les Peuls d'Afrique vivent dans des conditions précaires, à quelques exceptions près.

Au Mali et au Niger voisin, "les tensions à la fin des années 1970 et l’extension vers le nord des terres agricoles exploitées par les populations sédentaires contractent l’espace disponible pour le pâturage du bétail. Contraints de se déplacer plus au nord, et donc de traverser la frontière qui sépare le Niger du Mali, les éleveurs peuls se sont trouvés alors au contact d’éleveurs touaregs et d’autres autorités. La position des pasteurs peuls est structurellement vulnérable puisqu’ils ne sont pas ressortissants maliens." explique le chercheur Yvan Guichaoua, dans un article récemment paru dans lejournal français Le Monde.

En Centrafrique, leur situation est dramatique, ils ont été victimes de série de massacres. Des milices chrétiennes anti-Balaka formées au lendemain du renversement du régime de François Bozizé par des Séléka (groupes politico-militaires musulmans) en 2013, attaquaient impitoyablement les Peuls, dans l’objectif d’une «épuration ethnique», au nom d’un faux conflit confessionnel.

Au Tchad, ils sont confrontés à des problèmes dus à leur activité. Ils sont souvent accusés de ne pas respecter les lois régulant les activités pastorales. D'ailleurs, les organisations internationales ont dénoncé des exactions commises sur des populations peules, mais aussi des violences de milices peules sur des populations civiles.

En Guinée, les Peuls subissent un sentiment de haine qui remonte à l'époque de l'ex-président Sékou Touré (1958-1984). Inquiet de la monté de la popularité de Diallo Telli, diplomate guinéen et premier Secrétaire Général de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) entre 1967 et 1972, Touré invente un complot peul. D’abord, il interdit la bourse d’études aux enfants peuls, ensuite des gens ont été massacrés parce qu’ils portaient des patronymes Diallo, Soh, Barry, Bah. Des intellectuels peuls sont victimes des exécutions en série, mais ce qui a fait le plus mal durant cette période c’est le fameux discours haineux, où Sékou Touré appelle ouvertement au «génocide» peul, témoigne l'historien-anthropologue Diallo.

En Mauritanie, les Haali Pulaar, première ethnie africaine, ont été particulièrement visés dans les années 80, faisant l'objet de racisme et de discriminations, après avoir été soupçonnés par le régime d'avoir été derrière un coup d’Etat déjoué.

Au Bénin et au Togo, ils sont minoritaires et occupent le Nord. Ils ne sont pas impliqués dans la politique de leurs pays et ils font face à des conflits frontaliers et des tensions avec les agriculteurs. La communauté peule au Bénin est déjà victime de nombreuses humiliations et brimades par les populations et les forces de l’ordre à cause de la mauvaise publicité qui leur est faite par certains médias.

* Des lueurs d'espoir et un "plan marshall" exigé

Des exceptions ou encore des lueurs d'espoir émanent du Sénégal, où les Peuls ont toujours occupé des postes importants, mais aussi du Cameroun, où ils ne sont pas catégoriquement exclus de la vie politique. D'ailleurs, le premier président du pays Ahmadou Ahidjo (1960-1982) était d'origine peule. Ces mêmes Peuls dominent le centre et le nord du Cameroun même si le pouvoir est aux mains des sudistes depuis plusieurs décennies.

Au Burkina Faso, pays qui n'a pas connu de crises interethniques, le Fulfulde (langue peule) est enseigné et le taux d’alphabétisation est élevé parmi cette communauté.

Ce tour d'horizon montre à quel point la condition des Peuls est généralement propice à l'instrumentalisation politique et religieuse, dans certains pays africains. Mais, Bakaye Cissé président de l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (Anspirj), groupe politico-militaire récemment créé au Mali, ne l'entend pas de cette oreille.

Pour lui, les Peuls n'ont aucune revendication religieuse et sont en mesure de "distinguer le bon grain de l'ivraie". Son groupe d'autodéfense a vu le jour pour dénoncer l’amalgame que l’armée malienne est en train de faire en assimilant tout Peul à un «jihadiste», appartenant soit au Mujao, soit à Ansardine, soit au Front de Libération du Macina d’Amadou Kouffa, prévient-il.

«Nous sommes loin d’être des extrémistes, encore moins des marionnettes entre les mains des mouvements armés. La marginalisation et les immenses pertes humaines causées par l’armée malienne et ses milices de 2012 à nos jours à l'encontre des communautés peules nous ont poussés à l'union pour réclamer nos droits», plaide-t-il dans un entretien avec Anadolu.

Tout comme Abdoula Aziz Diallo, Cissé pense que la solution militaire ne mènera nulle part et qu'il faut, en revanche, un "plan Marshall" à mettre en oeuvre par les Etats de la région, en vue d'améliorer la condition des Peuls et mettre un terme aux conflits qui minent plusieurs contrées du continent.

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