Politique

Olivier Roy: “Le développement économique explique le succès de l’AK Parti”

Self Eddine Trabelsi  | 28.04.2017 - Mıse À Jour : 29.04.2017
Olivier Roy: “Le développement économique explique le succès de l’AK Parti”

Tunis

AA/ Tunis/ Seif Eddine Trabelsi

Le politologue français Olivier Roy affirme que l’AK Parti Turc n’est pas un parti islamiste, et que c’est avant tout un parti "nationaliste conservateur" dès sa naissance.

Dans une interview accordée à Anadolu à Tunis, Roy souligne que dès sa conception, l’AK Parti est "en opposition avec la ligne du leader islamiste turc Necmettin Erbakan".

Il a rejeté la référence à l'Islam dans son programme politique. «L'AK Parti a toujours refusé d'être appelé, ‘parti islamiste’, réclamant le label de parti conservateur qui s'appuie sur l'histoire et la culture du pays mais qui n’a rien avoir avec la mise en place de la loi religieuse”.

Pour Olivier Roy, la «crispation autour de l’AK Parti en Turquie est due à l’existence d’une élite occidentalisée, laïque, kémaliste qui n'a jamais accepté l'émergence de l'électorat de l’Anatolie, une émergence due largement au développement économique qui est en grande partie le résultat de l'action des gouvernements successifs d'Erdogan».

“C'est ce qui explique les succès électoraux d’Erdogan, qui est régulièrement élu par des pourcentages qui varient entre 43 et 50 %. C’est la loyauté de cet électorat qui vote essentiellement pour des raisons sociales et économiques plutôt que pour des raisons religieuses", précise-t-il.

Pour ce qui est des tensions entre la Turquie et l’Occident, Olivier Roy explique cela par le contexte régional et international.

“La guerre en Syrie a été une catastrophe pour la Turquie, elle a cassé sa politique extérieure qui est la politique de bon voisinage. Elle a obligé la Turquie à prendre, dans l'urgence, des décisions drastiques, comme le fait de s'opposer au régime de Bachar [al-Assad], elle a relancé la guerre avec le PKK (considéré comme groupe terroriste par la Turquie, l’Union européenne et les Etats-Unis), c'est la conséquence la plus négative de la guerre en Syrie”, a-t-il poursuivi.

Dans cette situation, Roy estime que “Le PKK a cru pouvoir, par l'intermédiaire du PYD, reconstituer en Syrie un bastion kurde qui permettrait de relancer l'action militaire en Turquie, il a rompu les pourparlers avec le gouvernement turc. A cela, le gouvernement a réagi en ciblant le HDP qui n’a jamais été clair sur son lien avec le PKK. Le retour de l'option militaire de ce dernier a été une grave erreur, d’autant plus que l’action militaire du PKK est un échec”.

Dans ce contexte difficile, le politologue constate que les autres acteurs politiques turcs n'ont pas su réagir. Les milieux kémalistes, explique-t-il, sont "ambigus depuis même la création du kémalisme. C'est un peu comme les laïques tunisiens qui ne mettent pas la démocratie au dessus de la laïcité, et donc ils sont prêts à sacrifier la démocratie pour la défense de la laïcité, ce qui est une erreur dans un pays comme la Turquie ou toute la population est alphabétisée, où il y a des moyens de communication de masse, où les gens sont informés et où les gens vont voter ».

De plus, précise-t-il, «sociologiquement, les kémalistes sont minoritaires depuis les élections remportées par Erbakan il y a 20 ans, c'est un problème que la gauche et les kémalistes n'ont pas résolu depuis 20 ans, à savoir celui de se transformer en véritable parti social démocrate”.

Roy estime que "La Turquie n'entrera pas dans l’Europe et ce pour plusieurs raisons. ”D'abord, parce que l'Europe va mal, l’Europe ne veut pas de la Turquie qui a une culture différente et qui a une fertilité plus élevée que toutes les moyennes européennes, et qui est surtout dirigée par un partie nationaliste », énumère-t-il.

«L’Europe ne veut pas de la Turquie, mais est ce que la Turquie veut de l’Europe ?», s’interroge-t-il. “Dans cette tension, l’Islam va être beaucoup utilisé”, selon Roy. “Sarkozy l'avait dit dès le début pour rationaliser le refus de voir la Turquie entrer en Europe, mais la Turquie n'était pas entrée en Europe même quand elle était kémaliste, c'est un faux argument”, a lâché le politologue.

Il estime qu'il faut revenir à la "realpolitik" entre l’Europe et la Turquie, et ce pour une raison structurelle. “Il faut repenser les liens entre la Turquie et l'Europe, dans d’autres cadres comme l'OTAN, il y a des intérêts communs mais aussi des ennemis communs”, conclut-il.

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