Analyse

Islamophobie : Trump ne l’a pas créée, mais il l’a rendue évidente ( OPINION )

- Une diplomatie publique forte et une alliance internationale coordonnée sont essentielles pour lutter contre l’islamophobie

Salman Sayyid  | 15.03.2025 - Mıse À Jour : 15.03.2025
Islamophobie : Trump ne l’a pas créée, mais il l’a rendue évidente ( OPINION )

Istanbul

AA / Istanbul

  • L'auteur, Salman Sayyid, est professeur de théorie sociale et de pensée décoloniale.

La réélection du président américain Donald Trump n’est pas la cause de l’intensification de l’islamophobie, mais son symptôme. Depuis des décennies, les faiseurs d’opinion, les décideurs politiques, les think tanks, les réseaux sociaux et les journalistes ont participé à sa diffusion et à son enracinement. Cette normalisation a permis aux idées d’extrême droite de se banaliser. Ce qui était autrefois perçu comme un discours extrémiste est devenu un commentaire public répandu dans les plutocraties occidentales. L’islamophobie ne s’est pas développée uniquement par la montée électorale des partis d’extrême droite : les organisations et partis de gauche, du centre et de droite y ont également contribué.

L'été 2024, avant la réélection de Trump, un pogrom islamophobe a eu lieu en Grande-Bretagne. La violence a éclaté suite à la rumeur selon laquelle un réfugié musulman aurait assassiné trois jeunes filles. Des mosquées ont été attaquées, des personnes perçues comme musulmanes agressées dans la rue et des foyers de réfugiés incendiés. Ce drame a choqué ceux qui pensaient que la Grande-Bretagne offrait une relative sécurité aux musulmans. Pourtant, l’enquête a révélé que le coupable n'était ni un réfugié ni un musulman, mais un citoyen britannique de confession chrétienne. Cette manipulation illustre à quel point l’islamophobie est ancrée dans la société.

L’islamophobie ne se limite pas à quelques figures médiatiques ou politiques. Elle est présente dans les systèmes judiciaire et migratoire, ainsi que dans l'éducation. Elle se manifeste par la destruction de maisons en Palestine occupée et dans l’Inde de Modi, la sinisation forcée des mosquées en Chine, les autodafés du Coran, l’interdiction des minarets, les agressions contre les femmes voilées et les crimes haineux. Elle alimente l’apartheid et les génocides, facilitant la diffusion d’un discours déformé par des démagogues présentés comme des vérités journalistiques.

La réélection de Trump n’a pas créé l’islamophobie, mais elle a clarifié les enjeux. Après Gaza, il est évident que ni les États-Unis ni l’Union européenne ne peuvent être perçus comme des défenseurs crédibles des droits humains. La montée de l’extrême droite n’est pas un accident temporaire appelé à se corriger de lui-même.

L’islamophobie relie les nationalistes ethniques à travers le monde. Elle légitime l’apartheid et les génocides, permettant aux manipulateurs de se faire passer pour des journalistes et des défenseurs de la vérité. L’indifférence n’est plus une option. L’ignorance n’est plus une excuse. Plutôt qu’un débat interminable sur la définition de l’islamophobie, une action ciblée est nécessaire.

Ce qu’il faut, c’est une éducation publique, pas une nouvelle définition. Les mythes persistent : que l’islamophobie serait une réaction au comportement des musulmans, que la peur de l’islam serait justifiée ou que la simple compréhension du « vrai islam » pourrait résoudre le problème. Or, l’islamophobie n’a rien à voir avec la théologie, c’est une forme de racisme dirigée contre les signes musulmans, qu’il s’agisse des vêtements, de la nourriture, du lieu de résidence ou des causes soutenues. Elle cible les individus perçus comme musulmans, qu’ils pratiquent ou non leur religion.

  • Éducation publique et alliance internationale contre l’islamophobie

Une vaste campagne d’éducation publique est nécessaire pour reconnaître l’islamophobie comme une forme de racisme et non comme un simple désaccord religieux. Il est essentiel de sensibiliser aux conséquences de cette discrimination sur l’ensemble des sociétés. Cependant, toute campagne éducative efficace doit aussi reconnaître que l’islamophobie est un projet d’État. De nombreux gouvernements et leurs agences ne cherchent pas à l’éradiquer, mais à la perpétuer. Ce phénomène ne se limite pas à Tel-Aviv, Delhi ou Paris : même certains États membres de l’Organisation de la coopération islamique en sont parmi les principaux promoteurs. Ces régimes financent des figures islamophobes, soutiennent des groupes extrémistes et concluent des accords occultes pour alimenter cette idéologie. Trop de dirigeants pensent que leur islamophobie les protégera de figures comme Trump et leur assurera un pouvoir sans fin.

La diplomatie publique et les efforts diplomatiques traditionnels sont essentiels pour lutter efficacement contre l’islamophobie. Cela nécessite une approche coordonnée et la mise en place d’une alliance internationale contre l’islamophobie. Une telle coalition rassemblerait des organisations de défense des droits civiques et humains, des réseaux médiatiques, des syndicats, des plateformes numériques et des gouvernements conscients des dangers de l’islamophobie. En unissant leurs forces, ces acteurs pourraient sensibiliser l’opinion publique, encourager des réformes politiques significatives et démanteler les structures qui favorisent l’islamophobie à l’échelle mondiale.

La question essentielle pour combattre l’islamophobie n’est pas seulement de savoir ce qu’il faut faire, mais qui agira. Pour que l’éducation publique et la diplomatie soient efficaces, une volonté politique collective doit émerger. Au cœur de cet effort commun doit se trouver la reconnaissance que la lutte contre l’islamophobie est une lutte pour la justice et la liberté.

* Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la ligne éditoriale d’Anadolu.


* Traduit de l’Anglais par Adama Bamba

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